Culture et Travestissement

 

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Bal Travesti (22/03/2022) -Y aller- WWII Soldats Anglais (23 08 2022) -Y aller-

 

Bals Masqués Travestis 1830-1930

- Publication du 22/03/2022 -

La fête a toujours été, et sera toujours, transgressive. En témoignent ces bals travestis du 19e siècle, époque où, la nuit tombée, les codes étaient déjà piétinés. Mais voyons d'un peu plus prêt à quoi correspond un bal 'travesti' de l'époque.

Il faut savoir que dès la Révolution, les bourgeois vont se faire un devoir d'organiser des fêtes reprenant les grands codes de la Cour mais en les modifiant au gré des modes et du temps. Du fait, il existera plusieurs types de 'bal', ces fêtes où l'on peut danser sur de la musique et rencontrer d'autres personnes dans un cadre festif qui permet de sortir du carcan des conventions sociales très rigides à l'époque. Le bal est souvent masqué (ici c'est simple, il suffit donc de porter un masque sur le visage). Concernant les masques, les deux premiers tiers du 19e siècle n’y placent pas une grande inventivité. Ce sont de simples loups en papier mâché ou en soie. Par la suite, ils deviennent plus sophistiqués, certains présentant même des mécanismes assez complexes permettant de modifier la voix, afin de renforcer le caractère anonyme du déguisement. Ils sont souvent munis d’un nez imposant. Sous la 3e République apparaissent des masques d’actualité politique. Le marchand de masque devient alors une figure de l’imaginaire social.

Le concept de Bal Masqué va bien entendu être repris dans des endroits plus populaires que les grands salons des bourgeois de l'époque. Ces bals publiques vont vite se distinguer en deux grandes familles, le Bal Masqué populaire et le Bal Paré et Masqué. Dans les seconds, les hommes doivent porter l’habit de soirée et les femmes être la plus élégante possible ('paré' signifiant justement 'soigner son apparence'). L'aspect masqué n'a généralement pas un caractère obligatoire, certains jouant le jeu et d'autres non (mais celui qui ne porte pas de masque à avantage à avoir d'autres atouts (Renommée, richesse, beauté) si il ne veux pas être ignoré. Par contre l'aspect 'Paré' est bien entendu obligatoire puisqu'il sert au tri social des participants.

Un autre critère va assez vite faire son apparition, le Bal Travesti. 'Travesti' signifie dans le langage de l'époque 'Costumé'. Mais bien entendu, à partir du moment où l'on peut se costumer, il est admis qu'on peut s'habiller avec les habits de l'autre sexe puisque l'on est dans le domaine du 'déguisement'. Rappelons à ce sujet que plusieurs ordonnances interdisaient alors aux femmes de se travestir, c'est à dire de porter des habits d'homme, sans une autorisation spéciale, hors du temps du Carnaval. Les bals travestis, en se référent au Carnaval sous la forme d'une fête en terrain privé, incluent donc le travestissement dans le sens plus strict de porter des vêtements réservés à l'autre sexe, que ce soit femmes en habits d'homme ou l'inverse. Comme pour le Bal Masqué, le Bal Travesti peut être juste Travesti, Travesti et Masqué, Paré et Travesti (ce qui implique des costumes de bien meilleur qualité) et souvent, Paré, Masqué et Travesti.

Les jours qui précèdent le bal sont occupés par la quête d’un costume. Pour les gens aisés, il est alors d’usage de se faire fabriquer ses propres costumes, soit sur modèle en présentant des gravures au couturier, soit sur proposition direct des couturiers eux-mêmes. Il est également possible d’acheter des costumes lors de ventes organisées par certains théâtres. Ils sont beaucoup moins chers, mais moins originaux (beaucoup de Pierrots). On voit l’usage du thème en soirée apparaître dans la seconde moitié du 19e siècle. « Bal des Jeux », « Bal de la Mer », « Bal Louis XV »…

Le soir-même du bal, il faut attendre. Ce divertissement est, pour l’époque, fort tardif. Il ne commence en effet qu’à 22 heures, voire à minuit. L’attente du bal masqué est un véritable passage obligé. Elle prend la forme d’une errance entre amis, de cafés en cafés. C’est une sorte de déambulation festive dans Paris, plus ou moins enivrée. À cette illumination joyeuse, une foule de braves gens, qui jusqu’alors n’ont jamais mis le pied dans un bal masqué, sentent naître au fond du cœur un extrême désir d’aller prendre part à une fête qui se révèle à leurs yeux par des dehors si éblouissants ! Certains cafés prennent le parti d’ouvrir à quatre heures du matin pour pouvoir accueillir les fêtards qui sortent du bal. C’est la naissance des 'afters'.

Au cours de la seconde moitié du 19e siècle, de nombreux théâtres s’engouffrent dans cette vogue et décident eux aussi d’organiser des bals masqués et travestis. C’est le cas à Paris du bal de l’Opéra Comique qui s’arroge ce droit et du théâtre du Châtelet qui en organise également. Les espaces publics de ces nuits masquées se démultiplient avec l’ouverture de cafés théâtre, de cabarets, du Moulin Rouge… Le bal attire longtemps des foules considérables, entre 2000 et 4000 personnes, parfois jusqu'à 7000 au tournant du siècle.

Alors bien sur les gens se lâchent, ce qui n'est pas du goût de tout le monde. En témoigne cette trace écrite d'un rapport de police à l'occasion d'un des bals de l'Opéra : « Il est à regretter que la commission de surveillance instituée auprès de l’académie royale de musique ne se soit pas opposée à ce bal et que cet établissement ait été le théâtre de danses obscènes de la plus profonde immoralité sans que les auteurs aient pu être arrêté en raison de l’affluence qui encombrait la salle de l’opéra. »

La nuit de fête est le temps privilégié de la séduction hors des conventions conjugales, et souvent hors des normes hétérosexuelles. L'anonymat est prétexte à oser de nouvelles choses. Tous les chroniqueurs et témoignages s’accordent pour le dire : les combinaisons de bal masqué sont plus avantageuses pour les amants que pour les mariés, pour les maîtresses que pour les femmes. J'avais trouvé dans un écrit de Maurice Alhoy cette savoureuse description :" M. Romieu fut intrigué par un domino beurre frais (Note : Un Domino est un costume de bal masqué composé d'une robe flottante à capuchon - Très courant à Venise pour le carnaval - porté par les femmes mais aussi très pratique pour se travestir. Beurre frais fait référence à la couleur de la robe); il maniait l’épigramme avec art, et lardait l’homme de plume aux défauts de la cuirasse. Un symptôme trahit l’émotion profonde produite par l’apparition du domino. M. Romieu perdit l’appétit pendant toute une semaine. À un second bal, il revit l’inconnue et obtint la faveur de baiser sa main blanche. À un troisième bal, le domino voulut bien accepter une bavaroise, qu’il prit sans lever même la barbe de son masque. Au quatrième bal, l’inconnue, vivement sollicitée par l’homme de lettres, qui ne parlait rien moins que d’aller coucher chez Pluton, voulut bien souper chez Véry. Enfin l’heure du dénouement arrive… le soupirant tombe aux genoux du domino : il lui offre sa main, sa fortune, ses vaudevilles : dans ces moments-là, qu’est ce qu’on n’offre pas ? … Il le conjure de montrer ses traits angéliques. Le masque tombe, et M. Romieu reconnaît Ferdinand Langlé, son ami, son collaborateur. La victime bouda plus d’un mois son confrère. "

Le sensationnel s’invite dans ces bals masqués parce que le travestissement est indissociable du dévoilement des corps des femmes. Le costume est, d’une certaine manière, la voie la plus tolérée pour se dénuder. Décades après décades, les 'déguisements' se font de plus en plus osés. C'est dans ces soirées que sont apparus publiquement les premiers maillots de couleur 'chair' qui donnent aux observateurs la sensation que la femme est nue sans qu'elle le soit. Ces soirées seront de plus en plus mises en scène, avec l’apparition des « tableaux vivants ». Les organisateurs ne reculent devant rien pour attirer le public. On note aussi avec l'arrivée du 20ème siècle qu'on ose toujours plus. Les années 20 ne portent pas pour rien le nom d'années "folles" par hasard, tout, vraiment tout, devient permis lors de ce types de soirées. Souvent décrites comme une réaction hédoniste aux horreurs de la première guerre mondiale, les années folles font voler en éclat tous les tabous. Il n'est plus question alors de faire croire qu'on est nue avec un maillot ou des collants couleur chair, si on veux donner l'impression qu'on est nu, on se contente d'apparaitre nu pour de vrai !

Les mœurs vont connaître un sérieux coup de rigueur dans les années 30. La crise économique de 1929, provoquée par le krach de Wall Street devenu le célèbre “Jeudi noir”, va mettre fin à cette période d’insouciance. La fête est terminée ! Ainsi l'ordonnance du 31 mai 1933 stipule que les entrepreneurs de bals, de danses, de concerts, de banquets et de fêtes publiques ne peuvent recevoir de personnes travesties. L'interdiction ne peut être levée qu'avec l'accord de la préfecture de police. De plus cette ordonnance précise pour la première fois qu'elle concerne aussi bien les femmes que les hommes. Jusque là toutes les lois réprimant le travestissement précisaient bien qu'il s'agissait de l'interdiction pour une femme de s'habiller en homme. Il y avait alors une totale indifférence des autorités quand il s’agissait d’hommes travestis. L’article 259 du Code pénal (1810) ne permettait même pas d’engager des poursuites pour ça ! Mais après la seconde guerre mondiale, les choses s'inverseront totalement et c'est le travestissement des hommes, dans un climat d’homophobie et de réglementation officieuse de la prostitution masculine, qui attirera principalement l’attention des autorités.

WWII Soldats Anglais Travestis (1940)

- Publication du 23/08/2022 -

Ces photos sont d'un type extremement rare puisqu'elle montrent des soldats anglais travestis en train de manoeuvrer un canon de défense pendant la seconde guerre mondiale. Elles furent prises par le photographe John Topham alors qu'il visitait la base de la Royal Artillery Coastal Defence Battery à Fort Shornemead dans le Kent (Angleterre).

Le contexte qui a rendu ces photos possibles est le suivant : Le photographe avait été invité à couvrir une fête de charité se déroulant sur la base pour le Noël 1940 à venir. Le clou du spectacle était un groupe de soldat entièrement travestis qui se produisait sur scène. Seulement en plein spectacle, les sirènes se mettent à hurler. Des bombardiers de la Luftwaffe sont signalés. Pas le temps de se changer pour remettre l'uniforme règlementaire, c'est donc dans leur robe que les soldats concernés se précipitent à leur poste de combat. Certains prirent le temps de mettre leur casque, un autre passa une ceinture de balles à sa taille.

Les spectacles travestis n'étaient pas rares dans l'armée à l'époque pour faire baisser le stress et laisser les hommes s'amuser mais bien sur les officiels du Ministère de l'Information interdirent immédiatement toute publication des images, affolés à l'idée de ce que pourrait en faire le service de propagande allemand.

Fort heureusement le photographe conserva les négatifs, ce qui fait que ces photographies existent encore !