Bals Masqués Travestis (1830-1930)

- Publication du 26/04/2025 -

La fête a toujours été, et sera toujours, transgressive. En témoignent ces bals travestis du 19e siècle, époque où, la nuit tombée, les codes étaient déjà piétinés. On dispose de très nombreuses affiches de 'Bal Travestis' de cette époque mais voyons d'un peu plus prêt à quoi correspond un bal 'travesti' à cette l'époque.

Dès la Révolution, les bourgeois vont se faire un devoir d'organiser des fêtes reprenant les grands codes de celles de la Cour mais en les modifiant au gré des modes et du temps. Du fait, il existera plusieurs types de 'bal', ces fêtes où l'on peut danser sur de la musique et rencontrer d'autres personnes dans un cadre festif qui permet de sortir du carcan des conventions sociales très rigides à l'époque. Le bal est souvent masqué. Il suffit alors de porter un masque sur le visage. Lors des deux premiers tiers du 19e siècle ce sont de simples loups en papier mâché ou en soie apportant peu d'anonymat. Mais par la suite, ils deviennent plus couvrant, plus sophistiqués, certains présentant même des mécanismes assez complexes permettant de modifier la voix, afin de renforcer encore le caractère anonyme du déguisement.

Le concept de 'Bal Masqué' va rapidement être repris dans des endroits bien plus populaires que les salons des grands bourgeois de l'époque. Ces bals publiques vont vite se scinder en deux grandes familles, le 'Bal Masqué Populaire' et le 'Bal Paré et Masqué'. Dans les seconds, les hommes doivent porter l’habit de soirée et les femmes être la plus élégante possible ('paré' signifiant 'en ayant soigné son apparence'). L'aspect masqué n'a généralement pas un caractère obligatoire, certains jouant le jeu et d'autres non, mais celui qui ne porte pas de masque à avantage à avoir d'autres atouts comme la renommée, la richesse ou la beauté si il ne veux pas être tout simplement ignoré. Par contre l'aspect 'Paré' est bien entendu obligatoire puisqu'il sert en fait au tri social des participants.

Un autre critère va assez vite faire son apparition, le bal 'Travesti'. Dans le langage de l'époque, 'Travesti' signifie simplement 'Costumé'. Mais bien entendu, à partir du moment où l'on peut se costumer, il est admis qu'on peut s'habiller avec les habits de l'autre sexe puisque l'on est dans le domaine du 'déguisement'. Rappelons à ce sujet que plusieurs ordonnances interdisaient alors aux femmes de porter des habits d'homme sans une autorisation spéciale, hors du temps du Carnaval (Aucune loi avant 1933 de pénalise un homme habillé en robe). Les bals travestis, en se référent au Carnaval sous la forme d'une fête en terrain privé, incluaient donc le travestissement dans le sens plus moderne de porter des vêtements réservés à l'autre sexe, que ce soit des femmes en habits d'homme ou l'inverse. Comme pour le Bal Masqué, le Bal Travesti pouvait être juste Travesti, Travesti et Masqué, Paré et Travesti (ce qui impliquait des costumes de bien meilleur qualité) et souvent à la fois Paré, Masqué et Travesti.

Les jours qui précèdent le bal sont occupés par la quête d’un costume. Pour les gens aisés, il est alors d’usage de se faire fabriquer ses propres costumes, soit sur modèle en présentant des gravures au couturier, soit sur proposition direct des couturiers eux-mêmes. Il est également possible d’acheter des costumes lors de ventes organisées par certains théâtres. Ils sont beaucoup moins chers, mais moins originaux (beaucoup de Pierrots). On voit l’usage du thème en soirée apparaître dans la seconde moitié du 19e siècle. « Bal des Jeux », « Bal de la Mer », « Bal Louis XV »…

Le soir-même du bal, il faut attendre. Ce divertissement est, pour l’époque, fort tardif. Il ne commence en effet qu’à 22 heures, voire à minuit. L’attente du bal masqué est un véritable passage obligé. Elle prend la forme d’une errance entre amis, de cafés en cafés. C’est une sorte de déambulation festive dans la ville, plus ou moins enivrée. À cette illumination joyeuse, une foule de braves gens, qui jusqu’alors n’ont jamais mis le pied dans un bal masqué, sentent naître au fond du cœur un extrême désir d’aller prendre part à une fête qui se révèle à leurs yeux par des dehors si éblouissants ! Certains cafés prennent le parti d’ouvrir à quatre heures du matin pour pouvoir accueillir les fêtards qui sortent du bal. C’est la naissance des 'afters'.

Au cours de la seconde moitié du 19e siècle, de nombreux théâtres s’engouffrent dans cette vogue et décident eux aussi d’organiser des bals masqués et travestis. C’est le cas à Paris du bal de l’Opéra Comique qui s’arroge ce droit et du théâtre du Châtelet qui en organise également. Les espaces publics de ces nuits masquées se démultiplient avec l’ouverture de cafés théâtre, de cabarets, du Moulin Rouge… Le bal attire longtemps des foules considérables, entre 2000 et 4000 personnes, parfois jusqu'à 7000 au tournant du siècle.

Alors bien sur les gens se lâchent, ce qui n'est pas du goût de tout le monde. En témoigne cette trace écrite d'un rapport de police à l'occasion d'un des bals de l'Opéra : « Il est à regretter que la commission de surveillance instituée auprès de l’académie royale de musique ne se soit pas opposée à ce bal et que cet établissement ait été le théâtre de danses obscènes de la plus profonde immoralité sans que les auteurs aient pu être arrêté en raison de l’affluence qui encombrait la salle de l’opéra. »

La nuit de fête est le temps privilégié de la séduction hors des conventions conjugales, et parfois hors des normes hétérosexuelles. L'anonymat est prétexte à oser de nouvelles choses. Tous les chroniqueurs et témoignages s’accordent pour le dire : les combinaisons de bal masqué sont plus avantageuses pour les amants que pour les mariés, pour les maîtresses que pour les femmes. Le sensationnel s’invite dans ces bals masqués parce que le costume est indissociable du dévoilement des corps des femmes. Il est, d’une certaine manière, la voie la plus tolérée pour se dénuder. Décades après décades, les 'déguisements' se font de plus en plus osés. C'est dans ces soirées que sont apparus publiquement les premiers maillots de couleur 'chair' qui donnent aux observateurs la sensation que la femme est nue sans qu'elle le soit.

Ces soirées seront de plus en plus mises en scène, avec l’apparition des « tableaux vivants ». Les organisateurs ne reculent devant rien pour attirer le public. On note aussi avec l'arrivée du 20ème siècle qu'on ose toujours plus. Les années 20 ne portent pas pour rien le nom d'années "folles" par hasard, tout, vraiment tout, devient permis lors de ce types de soirées. Souvent décrites comme une réaction hédoniste aux horreurs de la première guerre mondiale, les années folles font voler en éclat tous les tabous. Il n'est plus question alors de faire croire qu'on est nue avec un maillot ou des collants couleur chair, si on veux donner l'impression qu'on est nu, on se contente d'apparaitre nu pour de vrai !

Les mœurs vont connaître un sérieux coup de rigueur dans les années 30. La crise économique de 1929, provoquée par le krach de Wall Street devenu le célèbre “Jeudi noir”, va mettre fin à cette période d’insouciance. La fête est finie ! Ainsi l'ordonnance du 31 mai 1933 stipule que les entrepreneurs de bals, de danses, de concerts, de banquets et de fêtes publiques ne peuvent recevoir de personnes travesties. L'interdiction ne peut être levée qu'avec l'accord de la préfecture de police. De plus cette ordonnance précise pour la première fois qu'elle concerne aussi bien les femmes que les hommes. Jusque là toutes les lois réprimant le travestissement précisaient bien qu'il s'agissait de l'interdiction pour une femme de s'habiller en homme. Il y avait alors une totale indifférence des autorités quand il s’agissait d’hommes travestis. L’article 259 du Code pénal (1810) ne permettait même pas d’engager des poursuites pour ça ! Après la seconde guerre mondiale, les choses s'inverseront totalement et c'est le travestissement des hommes, dans un climat d’homophobie et de réglementation officieuse de la prostitution masculine, qui attirera principalement l’attention des autorités.