Travestissements Rituels dans le monde romain

- Publication du 03/09/2025 -

C’est généralement ignoré, mais il existait dans le monde romain des pratiques festives de travestissement (au sens restreint du port de vêtements associés au sexe opposé au sien). Ces pratiques ne valaient que dans le sens de la féminisation, d’homme travesti en femme.

On peut citer le cas des joueurs de flûte, qui une semaine avant le solstice d’été se répandaient dans les rues de Rome en habits féminins ou un autre rituel romain comportant mascarade et déguisements, le Navigium Isidis (Navire d’Isis), en l’honneur de la grande déesse égyptienne, dont le culte à mystères avait gagné Rome au début du Ier siècle avant notre ère, puis fut favorisé au siècle suivant par les empereurs, Caligula notamment. Cette célébration se déroulait le 5 mars pour marquer officiellement la reprise de la navigation à la fin de la mauvaise saison (mare clausum). Le cortège isiaque est décrit par Apulée dans ses Métamorphoses (livre 11, chap. 8-9), qui mentionne en avant de la procession solennelle proprement dite “des groupes costumés fort agréablement, selon l’inspiration et le goût de chacun”, parmi lesquels on trouvait des hommes accoutrés en soldat, en chasseur, en gladiateur, en magistrat, en philosophe, en oiseleur et en pêcheur, ou bien encore portant “des brodequins dorés, une robe de soie, des atours précieux”, et dont “la chevelure postiche…, la démarche ondoyante… simulaient une femme” (feminam mentiebatur).

Le travestissement tient aussi une place importante dans une grande fête qui apparaît à la fin de l’Antiquité romaine, la fête des kalendes de janvier. Elle se déroule le 1er de l’an et célèbre le renouvellement du temps. Sur toute l’étendue du monde romain mais avec une prédominance semble-t-il dans sa partie occidentale, les fêtes du Nouvel An sont marquées par des cortèges déguisés et bruyants. Or il ne s’agit pas simplement de masques correspondant à des rôles de théâtre ou à des figures effrayantes pour conjurer l’angoisse de la mort. Les masques et déguisements représentent soit des dieux (Jupiter, Saturne, Hercule, Vénus et Diane), soit des animaux sauvages (le plus souvent, le cerf), soit des femmes (outrageusement fardées). Ils expriment donc clairement la volonté d’être autre, d’abolir les frontières humain/divin, humain/animal et homme/femme. Ils signifient, selon Michel Meslin qui a tout particulièrement étudié cette fête, le “dépassement de soi-même, dans le reniement momentané de sa condition physiologique, psychologique, sociale, et dans le violent désir d’affirmer ainsi une puissance et une énergie à vivre et à être quelqu’un d’autre”.

Cette fête du 1er janvier constitue un prolongement des Saturnales romaines, entre le 14 et le 27 décembre, où comme on sait l’ordre social est inversé (les esclaves peuvent se faire servir par leur maître) et qui avaient pu prendre des aspects de débauche collective dans la partie orientale de l’empire où elles ont pu être une rémanence de la grande fête de l’Akità, le Nouvel An babylonien : pratiques mimétiques et comportements d’égalisation voire d’inversion sociale, atmosphère d’orgie sacrée où sont dépassées les frontières sexuelles, tout cela manifeste la persistance d’un rapport profond au temps cosmique – un temps qu’il s’agit en chaque début d’année de régénérer et de rendre favorable à l’action humaine.

De nombreux témoignages d’auteurs latins comme Césaire d’Arles, Pierre Chrysologue, Isidore de Séville ou Boniface, s’accordent à évoquer une soldatesque exhibant des bijoux clinquants, un maquillage outrancier et s’offrant à de fallacieuses embrassades : il est clair que ces hommes imitent par leur apparence et leur comportement “les putains de garnison”.

Cette confusion sexuelle revendiquée atteste le désir à la fois de réaliser le fantasme d’un hermaphrodisme primitif, de bénéficier des pouvoirs et prérogatives de l’autre sexe et de retrouver l’énergie vitale du chaos originel. De telles mascarades tiennent non seulement du défoulement collectif mais bien d’un acte rituel de passage, ainsi que de l’“opération magique de captation d’une énergie qui est normalement étrangère et interdite”.